Vous la suivez depuis deux jours déjà. Notre marathonienne et autres gourmandises court dans la nuit glacée. Suite et fin de son récit enlevé de la Saintélyon :
V – La course commençait à Soucieu ….
Et donc, je repars armée de mon roulé à la confiture (et d’un de plus dans une poche). Il pleut, il fait nuit, je cours, et la vie est belle. La vie est belle parce que je peux le faire, parce que je suis forte (en tout cas, je suis forte dans mon monde), parce que c’est le résultat de mes efforts mais aussi et surtout le fruit d’une belle synergie, celle qui est orchestrée par tout ceux qui m’entourent, et parce que je suis profondément heureuse de savoir être heureuse à ce moment-là. Je sais que je suis heureuse, et surtout je sais la chance que j’ai de le savoir, parce qu’en fait, c’est ça d’être heureux. Si vous ne me suivez pas, relisez, vous verrez, ça fait sens 🙂.
Il me reste 22km jusqu’à Lyon, 400m de D+, quasiment que du bitume, et je me dis bêtement que peut-être même que je peux boucler ça en 2h15. Ha ! Ha ! Ha !
Elle est drôle la gamine, rient les dieux de la Saintélyon.
J’entends un coureur à côté qui dit « allez, plus que 2h45-3h ! ». Ce n’est pas un relayeur. Si il est là à côté de moi, c’est qu’il a couru au moins aussi vite que moi, ou plus vite, en étant parti dans une vague ultérieure.
Et là, je commence sérieusement à m’inquiéter… Je cours, avec ma foulée la plus économe (ceux qui me connaissent savent qu’elle est donc extrêmement économique, parce que déjà sur un dix kilomètres on me remarque par mon absence totale de rebond, de puissance, haem), j’avance, sans réfléchir.
Je vise Chaponost, à 9km, j’y croiserai l’oncle de mon copain, je m’accroche à l’idée du prochain roulé à la confiture, je ne suis pas fatiguée mais j’ai MAL. Je ne prends pas de plaisir à courir, mais je suis quand même contente d’être là, parce que je sais que j’arriverai au bout, et que je serai fière de moi, heureuse d’avoir évité la blessure, heureuse de savoir que je vais retrouver mon petit frère à Lyon. Jusqu’à Chaponost, il faut courir, ça descend… C’est long. Ça tape. Ça fait mal. Comble de l’horreur, je pense arriver au ravito, et là, je vois un grand aller retour ! Mais qui met des allers-retours sur un trail !!! On n’est pas sur un marathon où il faut rajouter des kilomètres ! Je peste intérieurement, et extérieurement, avec un coureur à côté de moi qui me relance un peu.
Je croise René, ça me fait plaisir, je prends deux roulés au ravito et je ressors, en repassant devant René. Je lui dit que ça commence à être dur, mais que ça va, je ne marche même pas. Je veux courir tant que c’est possible, et je commence à faire des calculs. Avec un passage à 8h10 de course, encore 100 bonnes places de gagnées , mais il me reste 13km, et je commence à avoir vraiment très, très mal aux jambes. Mes rêves de 9h30 sont hors de course, mais peut-être qu’il y a moyen d’accrocher les 9h45…
Pour la première fois, j’ai passé 2 minutes dans le ravito, sans raison. Je repars, « au mental » en me répétant que c’est dur mais que c’est normal, que je le savais, que je paie mon manque d’entraînement spécifique mais que quoi qu’il arrive je vais finir, et plutôt correctement. Mais 13km quand même, je les découpe dans ma tête en blocs de 3km, en priant pour ne pas avoir de mauvaise surprise (oui, parce que les bonnes kilométriques peuvent être parfois un peu aléatoires, on le sait)…
Je cours tant que je peux, et je soupire de soulagement dès que je sens arriver une petite côte : ça fait moins mal, et au pire ça justifie de marcher. Je geins comme une enfant quand le terrain autorise de nouveau la course, et surtout je peste à haute voix que « c’est quand même bien un truc d’abrutis ! » quand, malheur, ça descend… D’ailleurs, j’y perds encore un temps fou là où les autres coureurs déroulent plutôt bien.

Ma frontale clignote …
…je l’éteins, elle aura largement tenu jusqu’au lever du jour, grâce aussi à une gestion millimétrée : au minimum dans les montées et quand j’étais entourée sur le plat, je m’autorisais quand même les pleins phares en descente, sécurité oblige. Je me cale dans les pas d’une relayeuse qui court autour de 10km/h (oupsi). J’engage la conversation, mais elle est très concentrée alors je me contente de suivre par automatisme. Nous descendons dans le parc de Sainte Foy, c’est affreux, cette dernière descente fait hurler mes quadriceps, je sens toutes ces petites terminaisons nerveuses qui s’enflamment au contact des composants élémentaires de feu mes pauvres myocytes. La montée des aqueducs se laisse monter (enfin, se laisse marcher … Ça monte, c’est long, on le sait, bon ça passe plutôt bien…). Je suis plutôt dans les temps pour 9h45, et au détour d’une montée, je croise de nouveau René qui m’avait suivie en voiture pour essayer de me prendre une photo dans de bonnes conditions. Comme vous pouvez le voir ci-dessous, c’est mon voisin qui est le plus photogénique, et certainement plus frais que moi, puisqu’il finira en 8h30 !

Juste après, je tourne dans une petite rue, et j’aperçois deux choses : d’abord, les escaliers, les fameux, ceux qui terrorisent tous les aspirants et nourrissent les récits des survivants, ceux qui redescendent à Lyon, ceux qui annoncent la fin, mais qui opposent une dernière résistance, et ensuite, le musée des Confluences, celui qui n’est qu’à un pas de la Halle Tony Garnier… Enfin, un grand pas ! Alors je descends ces escaliers, et honnêtement, ce n’est pas si terrible. Et je cours, je cours .. et là commence ou se poursuit l’enfer : des allers-retours, des zigzags, des km rajoutés en descendant sur un quai quipuelapisse (pire que sous les ponts de la Seine !) et en remontant les escaliers… Je ravale des larmes en inspirant et en expirant à fond, car les émotions me débordent un peu, entre la fatigue et la douleur, je suis plus forte que ça, je le sais.
Le dénouement :
Au bout d’un nombre infini de km (au moins deux, je m’engage sur le dernier pont, celui qui mène à cette innovation architecturale lyonnaise, il y a quelques supporters… et au loin, c’est mon petit frère que j’aperçois. Mon petit frère, avec son grand manteau, son bonnet, sa barbe et ses cheveux longs, qui m’attend, depuis un moment certainement. Mon petit frère, qui affiche un grand sourire quand il me reconnaît, et qui vient m’accompagner sur les 500 derniers mètres. Mon petit frère, celui qui est toujours là pour moi et qui une fois de plus rend ma vie un peu plus belle avec sa joie de vivre, sa tranquillité et sa simplicité. Et il est fier de moi. Moi aussi je suis fière. Il me quitte 200m avant la ligne d’arrivée, et je file, pressée de le rejoindre à l’intérieur.

J’entre dans la halle, couverte de cette pluie glacée qui tombe depuis une bonne heure, sans même que je ne m’en rende compte. J’entends le speaker qui décrit un juron, sans oser le prononcer. Je passe la ligne. 9h45. Je file voir le speaker. Je prends le micro pour prononcer ce fameux juron. Plusieurs fois. Trois fois. Nous rions. Il m’interroge sur la course, alors je lui réponds de bon cœur. Je cherche un roulé à la confiture mais je n’en trouve pas, alors je file récupérer ma médaille, mon t-shirt finisher, celui là même qui affiche 77km et qui taille trois tailles trop petit. Je vois David, j’apprends qu’il a abandonné à Sainte Catherine, à cause des conditions météo. Je suis triste pour lui, mais c’était une sage décision, peut-être la plus dure à prendre. Je retrouve mon frérot, il prendra la bière pendant que je mangerai mes pâtes chinoises aux cacahuètes servies aux coureurs. Je traine mes jambes jusqu’à sa voiture (Hallelujah), et je prends une longue douche chaude chez lui. Je m’allonge, jambes en l’air, jusqu’à 13h30, heure à laquelle nous allons prendre un brunch bien mérité, à base de croque-monsieur, cakes sucrées, œufs brouillés et boissons chaudes à volonté.
Victoire et conséquences :
Le lendemain, pour être honnête, je suis au bord de me faire porter pâle. Inflammation musculaire intense, incapacité totale à porter mon propre poids, mes quadriceps sont dans un état assez dramatique. Ils mettront plusieurs jours à se remettre, et pendant ce temps je ne boirai presque que des électrolytes, pour favoriser leur réparation. Cela dit, le jeudi suivant, j’étais avec mon groupe d’entraînement pour un petite séance de piste (bon, j’avoue, petite, la séance…). J’attends encore patiemment de retrouver mes jambes, mais il paraît qu’il va me falloir au moins un petit mois pour retrouver de la vitesse. En attendant, je profite de ma grande satisfaction personnelle, je revis dans ma tête mon expérience, j’en tire des leçons. Je sais que je reviendrai plus forte.
Le dernier point que je n’ai pas suffisamment abordé, ce sont les bénévoles, et tous ceux qui ont passé leur nuit dehors, sous la neige, dans un froid glacial, pour encourager les coureurs, avec ou sans musique, à côté d’un feu de joie ou à l’arrière d’un camion. Juste Merci ❤️