Avec son livre « Telle mère, quelle fille ? », la psychologue Sonia Prades réussit le pari difficile de proposer un livre de plus sur la relation entre mère et filles. 
Certes, de nombreux ouvrages existent sur ce sujet compliqué, aussi bien des romans (« Ne t’inquiète pas pour moi, d’Alice Kuipers[1]), des analyses psychologiques (Etre mère, mission impossible ?, de Maryse Vaillant[2]) que des ouvrages psychanalytiques (Le sourire de la Joconde, de Catherine Mathelin[3]).
En quoi celui-ci se démarque-t-il des autres ? JVC vous l’explique.
Sonia Prades rappelle l’évolution qu’a connue la famille ces 30 dernières années, qu’elle appelle « le grand chambardement » : la contraception, bien sûr, mais surtout la fréquence du divorce et des familles recomposées ou des familles monoparentales. Dans ce contexte, la relation mère-fille ne s’écrit plus de la même façon : il y a souvent un face à face (familles monoparentales) ou la cohabitation avec un tiers (le beau-père, la belle-mère…). Pour les mères, cela brouille aussi la répartition des rôles : il n’est pas rare que la mère se trouve à un moment de sa vie où la recherche d’un nouveau conjoint occupe son esprit, voire la replace dans les dispositions psychologiques d’une jeune femme, voire d’une jeune fille, alors même que sa fille fait ses premiers pas dans les relations avec les garçons. Comment conserver la nécessaire séparation entre mère et fille dans ces conditions et comment laisser « grandir » l’enfant ?
Telle mère -telle fille ?
L’auteure insiste particulièrement sur ce risque, qu’elle intitule « le syndrome Comptoir des Cotonniers », en référence à la publicité de cette marque qui met en valeur la ressemblance entre mère et filles et souligne ainsi la question de la « confusion des générations », les parents étant progressivement incités à paraître plus jeunes, voire aussi jeunes que leurs enfants. Or, la psychologue le rappelle avec beaucoup de force, « Psychiquement, la fille ne peut trouver son propre destin que si la différence de génération entre elle et sa mère est bien établie, écart qui permettra à chacune de trouver son désir ».
Papa où t’es ?
Autre symptôme des temps modernes, le « père invisible » est également un risque important dans les situations familiales où il n’est pas présent à temps plein auprès de sa fille. Le père peut aussi être invisible au sein d’une famille où les deux parents sont présents. C’est d’ailleurs l’exemple que choisit l’auteure, où le père est présent physiquement mais absent psychologiquement de la relation entre mère et fille. Cette situation fait peser des risques sur la psychologie de l’enfant : la relation entre mère et fille devient alors si exclusive que la nécessaire séparation entre elles à l’âge adulte ne manquera pas de faire porter à la fille un sentiment de culpabilité.
Baby doll ou Pin up ?
Le livre traite aussi des questions matérielles, en apparence anodines, mais qui révèlent beaucoup de la relation mère-fille : est-ce que nous partageons nos vêtements ? Dit-on en nous regardant que l’on pourrait nous confondre ? Combien de messages, de coups de téléphone nous envoyons nous par jour ? Elle évoque aussi ces petites filles habillées comme des poupées pour combler les désirs insatisfaits de la mère, ou encore ces mères qui font grossir ou celles qui font maigrir leur fille (en leur donnant plus ou moins consciemment une alimentation trop riche ou au contraire trop peu nourrissante) pour « sculpter » leur enfant selon leur désir.
Porte fermée…
Elle rappelle l’existence d’un « nécessaire secret » qui doit être posé sur la vie intime de la mère comme celle de la fille. Faire partager à sa fille l’ensemble de ses états d’âme, c’est prendre le risque de mettre sa fille à égalité soi, quitte à transférer sur elle une partie de ses angoisses. Il n’est donc pas nécessaire de tout se dire : la fille comme la mère doivent pouvoir conserver une part de secret, sans pour autant cacher des difficultés et des questions graves. Cet équilibre délicat, c’est à la mère de l’instaurer en mettant des limites, c’est-à-dire en n’exposant pas tout de sa propre vie et en acceptant que sa fille en fasse autant (par exemple, en évitant d’être l’amie de sa fille sur Facebook). Elle doit également prendre garde à la façon dont elle parle des hommes à sa fille. Quelle mère n’a pas un jour lâché devant sa fille une phrase sur « les hommes, tous des minables ! » ? Mais si cette thématique revient trop souvent, elle risque de polluer la vie affective future de la jeune femme : l’auteure raconte comment une de ses patientes, qui venait chercher réconfort auprès de sa mère après un chagrin d’amour, s’est vue répondre que l’échec amoureux était la loi de toutes les femmes de la famille…
Mais encore…
D’autres thèmes sont également abordés, de façon toujours vivante et pleine d’exemples, comme l’autorité, le passé de la famille (Comment cette mère qui a été abandonnée par sa propre mère peut-elle transmettre autre chose qu’une angoisse à sa fille ?), la naissance de l’enfant de la fille, ou encore ce que l’auteure appelle les « petits ou grands dérapages » (tatouages, piercings, scarifications, anorexie, boulimie, fugue ou dépression), qui sont traités avec beaucoup de pragmatisme.
En plus de ces conseils simples, le livre se distingue par une série de « Quiz » à la fin de chaque chapitre, qui permettent à mère et fille de se poser des questions amusantes pour définir leur relation : par exemple, la mère se demandera « Est-ce que je parviens à exercer une autorité sur ma fille ? » et la fille « Est-ce que j’estime que ma mère tient sa place de mère ? ». On reste toutefois un peu frustrés que la réponse à ces questions ne soit pas analysée. Un petit jeu comme ceux qu’on trouve dans les magazines aurait été assez éclairant !
JVC vous recommande ce petit livre !
Sonia Prades, Telle mère, quelle fille ? Trouver sa place, enfin !
Leduc.s Editions, 2016
[1] Alice Kuipers, Ne t’inquiète pas pour moi, Albin Michel 2014
[2] Maryse Vaillant, Etre mère, mission impossible ?, Albin Michel, 2011
[3] Catherine Mathelin, Le sourire de la Joconde, Denoel,
Chimène pour JVC
