Le livre de Jean-Michel Blanquer aborde aussi des questions plus techniques, telles que l’éducation prioritaire (les fameuses « ZEP ») ou le rôle du numérique à l’école. Mais sa réflexion est abordable et permet de mieux comprendre ce que pourrait devenir notre système éducatif. Enfin, il aborde le délicat sujet de la violence et de l’incivisme à l’école, thème qui résonne particulièrement sombrement avec les récents événements qui ont frappé la France.
L’éducation prioritaire, mise en œuvre depuis le début des années 1980, souffre d’un « fixisme géographique et territorial » auquel participent les élus et les syndicats (par exemple en refusant de sortir des établissements des zones de l’éducation prioritaire). Elle pâtit également d’une allocation inefficace des moyens (en gros, il s’est longtemps agi d’attribuer de façon automatique une prime aux professeurs concernés). A rebours de cette politique, Jean-Michel Blanquer cite les tentatives menées après les émeutes de 2005 (mise en place de 254 « réseaux ambition réussite » et permettant un soutien renforcé et une attention nouvelle au lien entre école et collège), puis à sa propre conception du programme « Eclair 1» en 2010. Les premiers n’ont guère donné de résultats concluants (« il n’y avait pas véritablement d’effet « réseau ambition réussite » sur le niveau des élèves en français et en mathématiques »). S’il ne commente pas les résultats des seconds, il signale à leur actif l’autonomie confiée aux chefs des établissements concernés (recrutement de professeurs directement par les chefs d’établissements sur des « postes à profil »). L’éducation prioritaire reste donc globalement un échec.
La seule exception citée par l’auteur est l’expérience des « internats d’excellence » lancée à Sourdun en 2009 et étendue à une dizaine d’établissements en 2010, grâce notamment aux fonds du Programme des Investissements d’Avenir. Ces établissements ont fait l’objet d’une critique très politisée, notamment sur leur coût. Pourtant, les véritables évaluations montrent qu’ils ne coûtent en investissement pas plus cher que ce que consacrent les collectivités territoriales à la construction d’autres internats ou lycées. Quant au coût global, il n’est pas supérieur en moyenne à celui des internats ordinaires2. Or, « cette politique publique (est) de très loin, la plus grande réussite concrète en matière d’éducation prioritaire ».
Quelques autres idées sont évoquées pour faire avancer l’éducation prioritaire :
-
une politique plus ambitieuse dans le premier degré sur le modèle des « charter schools » américaines (avec de véritables contrats d’objectifs par école).
-
La création au collège de « préfets des études » qui coordonnent chaque niveau (6eme, 5eme …) ;
-
Une politique sociale complète en faveur des jeunes enseignants de ces zones (par exemple des aides au logement) ;
-
L’accompagnement éducatif entre 16 h et 18h dans les collèges de l’éducation prioritaire, instauré en 2007 et étendu l’année suivante à tous les établissements.
Enfin, l’auteur livre des recommandations pour améliorer le fonctionnement institutionnel du système éducatif. Dans ce domaine, la décentralisation est allée suffisamment loin et c’est désormais à un mouvement de déconcentration qu’il faut procéder. La déconcentration a bien progressé fin 2012 grâce à la dévolution aux académies de pouvoirs accrus. Par ailleurs, Jean-Michel Blanquer ne critique pas l’administration centrale du ministère, qu’il juge très petite et plutôt efficace : « songez qu’il y a à peine deux ou trois niveaux de responsabilité entre un professeur et son ministre ».
Il s’agit à présent de donner au chef d’établissement une véritable autonomie en en faisant un véritable représentant de l’Etat et en lui « donnant davantage de pouvoir du point de vue pédagogique, du point de vue éducatif et du point de vue administratif ». Les expériences menées en ce sens dans les internats d’excellence et les établissements Eclair ont été efficaces. Une réforme de 2010 a également contribué à la responsabilisation des proviseurs en leur confiant la répartition d’un nombre d’heures accru.
Bien entendu, il ne s’agit pas de transformer le chef d’établissements en « petit chef » mais d’adopter des démarches de participation et de concertation au sein de l’établissement. La réforme consisterait à créer autour du chef d’établissement une véritable équipe de gouvernance : « Prenons un collège de taille moyenne ou grande. Dans une approche rénovée de la gouvernance, il disposerait, sous la responsabilité d’un conseiller principal d’éducation, adjoint du principal, de quatre « préfets des études » (6eme, 5eme, 4eme, 3eme). Un professeur serait le doyen coordonnateur pour chacun des trois piliers du socle (français, mathématiques et sciences, humanités). Ensemble, ces huit personnes autour du chef d’établissements incarnent la politique pédagogique et la politique éducative de l’établissement ».
L’auteur rend également hommage aux professeurs et consacre une partie du livre à la question de la formation des maîtres. Rendre sa dignité à la fonction enseignante passe par des rituels (d’accueil de nouveaux arrivants par exemple) mais aussi par une formation rigoureuse. Les IUFM n’étaient pas mal conçus. Ils correspondent d’ailleurs au schéma retenu dans la plupart des pays où les enseignants sont formés à l’université avec des stages d’application. Mais le contenu des enseignements y était particulièrement médiocre et ne reposait pas sur les résultats les plus récents de la recherche en sciences cognitives. L’intégration pleine et entière des élèves-professeurs à l’université et leur « masterisation » (nécessité, affichée au niveau européen, d’atteindre le niveau Bac+5 pour enseigner) n’étaient peut-être pas opportunes. Les « Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation » (ESPE) crées par le ministre Peillon en 2013 pourraient être l’occasion de renouveler en profondeur la formation des professeurs, à condition de changer les cadres, les méthodes et les contenus pour ne pas revenir aux dérives atteintes par les anciens IUFMs. Pour le moment, des signes alarmants indiquent plutôt que ce changement en profondeur n’a pas lieu.
Jean-Michel Blanquer estime que l’usage du numérique est une belle opportunité pour l’éducation. Il insiste pour que le ministère s’y engage pleinement en adaptant les outils (tableaux, tablettes) mais surtout les méthodes pédagogiques et la formation des professeurs. Il en va ainsi de la nouvelle « pédagogie inversée » où l’élève prend connaissance d’une vidéo avant le cours et où le professeur part de cette première base pour construire son enseignement.
Enfin, Jean-Michel Blanquer rappelle également que « avec l’ennui, la peur et la honte sont les fléaux que l’on doit extirper du quotidien des élèves ». Pour lutter contre l’incivisme et la violence à l’école, il rappelle quelques mesures qu’il a mises en place :
-
un enseignement de la morale à l’école, prévu par les programmes de 2008 ;
-
la responsabilisation de tous et en particulier des parents, avec les « écoles des parents » ou l’envoi de SMS aux parents quand l’enfant est absent ;
-
l’attention au « climat scolaire » ;
-
une nouvelle échelle de sanctions disciplinaires qui évite la déscolarisation (remplacée par des activités d’intérêt commun) ;
-
la création en 2009 des équipes mobiles de sécurité (EMS) composées de personnels de l’Education et de professionnels de la sécurité ;
-
la création en 2011 des établissements de réinsertion scolaire (ERS), vivement critiquées par la gauche, mais qui a permis d’accueillir des jeunes violents dans de petites structures adaptées.
De la comparaison avec deux systèmes éducatifs aux performances excellentes au plan international, la Finlande et Singapour, l’auteur retient que les éléments structurants de l’éducation ne sont pas fondamentalement différents dans ces pays de ce qui existe en France. Mais ces pays démontrent l’importance d’accorder à l’école une confiance plus grande : confiance en les professeurs, les élèves et les chefs d’établissements.
1 Ecoles collèges lycée ambition innovation réussite
2 Rapport IGEN, REFERENCE ???? un premier rapport de l’Inspection générale, un mois à peine après le lancement de ka première vague d’internats, accumulait les phrases assassines et donnait l’impression d’une gestion dispendieuse. Après l’alternance, un second rapport rend justice aux avancées réalisées dans ces internats et établit la vérité sur les coûts : hétérogènes mais pas supérieurs en moyenne à ce que coûtent les internats ordinaires.
Retrouvez les précédents volets
- l’école de la vie 1/4
- l’école de la vie 2/4
- l’école de la vie 3/4
Chimène pour JVC